Notre vie vaut-elle de l’or ?
Voici un texte de Pierre Rabhi. Ce texte est tiré de son livre, Vers la sobriété heureuse (Actes Sud, 2010). Un briant rappel sur nos essentiels et l’horizon vers lequel nous aurions « intérêt » à nous tourner.
La modernité, dans son principe premier et ses intentions originelles, aurait pu, en s’appuyant sur la révolution industrielle, être une chance pour l’humanité. Mais elle a commis une erreur fatale, dont nous commençons seulement à mesurer les conséquences désastreuses avec la grande crise d’aujourd’hui : elle a subordonné le destin collectif, la beauté et la noblesse de la planète Terre, dans sa globalité, à la vulgarité de la finance.
Tout ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur
Dès lors, le sort en a été jeté. Tout ce qui n’a pas un prix n’a pas de valeur. L’argent, invention destinée à rationaliser le troc, noble représentation de l’effort, de l’imagination, de la créativité, de la matière utile à la vie, a été dénaturé par celui que l’on « gagne en dormant ». Ces considérations sont aujourd’hui banales ; cependant, les effets de la finance ne sont pas réductibles aux doctes analyse des Prix Nobel d’une pseudo économie. Car il faut rappeler que ce que l’on appelle « économie » consiste, aujourd’hui, en un système qui, par son caractère dissipateur et destructeur, en est précisément la négation – un véritable outrage à l’économie.
Le principe économique
On ne peut que constater, encore une fois, la capacité de la sémantique à abuser des esprits, à entretenir savamment les malentendus. Pour un esprit naïf, dans un tel contexte, l’économie est cet art magnifique dont la raison d’être est de gérer et de réguler les échanges et la répartition des ressources, avec le minimum de dissipation et pour le bien de tous, en évitant les dépenses inutiles, excessives, qui porteraient atteinte au patrimoine vital ; l’avarice comme le gaspillage sont contraires à l’existence humaine.
L’écureuil, devenu le symbole que l’on sait, la fourmi besogneuse qui refuse un prêt à la cigale trop désinvolte et l’abeille qui engrange de quoi survivre aux temps difficiles, font de l’épargne et non de la spéculation. L’être humain, lui, semble être le seul a avoir introduit la dissipation dans une réalité régie par un principe formulé par « rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme ».
Lors d’une émission télévisée, on demandait à un homme devenu très riche s’il ne se sentait pas prédateur ; invoquant la lutte des espèces pour survivre, il prétendit appliquer simplement la règle établie par la vie. Cette question absolument fondamentale a été éludée : il aurait fallu remontrer à ce monsieur que la prédation humaine n’est pas de même nature que la prédation des espèces animales. Quand un lion mange une antilope, il se contente de cette offrande de la vie. Il n’a ni banque ni entrepôt d’antilopes. C’est pourquoi l’on peut voir, sur certaines photographies, le lion s’abreuver à côté du zèbre, de l’antilope ou de tout autre espèce dont il est le prédateur ; dès lors que la nécessité de s’alimenter ne se fait pas sentir, ils peuvent boire à la même mare, même s’il arrive que certains prédateurs saisissent cette occasion, qui facilite leur prédation.
Le piège des fantasmes
Bien éloignée de la réalité élémentaire, fondée sur la survie et la perpétuation de l’espèce, l’être humain est pris au piège de ses fantasmes. Il donne à des métaux ou à des pierreries une valeur symbolique exorbitante et en fait des objets d’enrichissement pour ceux qui en possèdent. Voyant déferler les hordes de conquérants européens en quête frénétique d’or, source de violences et de meurtres, certains Peaux-Rouges croyaient véritablement que ce métal rendaient fou, et se gardaient bien d’y toucher pour ne pas être atteints par la démence qu’il provoque. Je suis souvent émerveillé par la puissante capacité qu’a la candeur à mettre en évidence des vérités profondes. Oui, l’or a rendu l’humanité folle. Et c’est un crève-cœur que de constater le pouvoir subliminal de ce qui, après tout, n’est que du métal.