L’inconnu
Nous avons peur de l’inconnu. Et nous avons un constant besoin de certitudes – de savoir quel est le sens de ce que nous vivons. On a plus peur de demeurer dans l’incertitude que d’apprendre une mauvaise nouvelle ; le diagnostic hypothétique nous plonge dans des affres bien plus grandes que le verdict catégorique, même alarmant. Il ne s’agit pas simplement de curiosité : le désir de savoir est un besoin existentiel profondément enraciné en nous. En effet, le savoir, c’est le pouvoir ; donc, l’ignorance est faiblesse.
La découverte – ou l’invention, diront certains – de Dieu atténue l’angoisse de ne pas savoir. Qui promet la certitude est roi. Quand l’avenir paraît compromis, comme en temps de guerre, nous suivons le chef, qui nous fait miroiter le confort de la conviction inébranlable. Quand on est malade, on place le médecin sur un piédestal. Enfants, nous attendons des adultes omniscients, nous parents, qu’ils soulagent notre inquiétude. Plus tard, quand nous prenons conscience de leurs imperfections, c’est vers Dieu que nous tournons, ou bien, vers un gourou, un guide spirituel.
Ce qui ne nous empêche pas, au plus profond de nous, de ressentir une anxiété parce que, finalement, nous savons bien que nous ne savons pas. Ni l’histoire, ni l’archéologie, ni la psychologie ne peuvent expliquer le passé en totalité, que ce soit le nôtre en tant qu’individu ou celui de toute espèce l’humaine humaine. Ni les évocations détaillées de l’au-delà, ni l’horoscope ne peuvent nous donner une idée bien claire de ce que sera demain, ou après-demain. Et quand on y réfléchit, même le présent est un mystère…
Alors que faire ? Accepter l’évidence : parfois, on ne sait pas et on ne peut pas savoir. Assumer l’incertitude afin d’être moins mal à l’aise quand nous la subissons. Dès lors qu’on est plus troublé par sa propre ignorance, on est mieux préparé à reconstruire le malaise initial vis-à-vis de l’inconnu pour le transformer en capacité d’émerveillement. Il s’agit ici de réapprendre à percevoir le monde – et la vie – sous forme de miracle en marche.
Qu’est-ce qui vous inspire une crainte profonde ?
En quelles occasions, en quelques endroits, vivez-vous le monde comme un miracle ?
TENTEZ L’EXPERIENCE…
Marcher… c’est tout
Phil Stone, qui fut un des pionniers de la psychologie positive, était bien davantage qu’un professeur. En plus de faire partager ces vastes connaissances en sciences sociales, il était extrêmement peu avare de son temps quand on avait besoin de conseils ou d’encouragements. Il reste un modèle.
Tal Ben-Shahar, professeur de psychologie et de philosophie, nous raconte un moment de sa rencontre avec lui. « En 1999, il m’a emmené assister au tout premier congrès de psychologie positive (à Lincoln, dans le Nebraska). Le lendemain de notre arrivée, comme il faisait un temps typique du mois de septembre (un vrai cliché) avec ciel peu couvert et petit vent frais pas désagréable, après les conférences du matin il m’a proposé d’aller marcher. Quand j’ai voulu savoir où nous devions aller, il m’a répondu : « Marchant, c’est tout. » Et c’est une des leçons les plus importantes qu’il m’ait enseignée.
Aller marcher sans but précis, sinon ralentir l’allure, ressentir, savourer et apprécier le monde. Prenez votre temps, tout simplement, imprégnez-vous de la pulsation de votre ville, ou du calme de votre village, de l’immensité de la mer ou de la fertilité de la forêt. Instituez un rituel consistant à « marcher, c’est tout ».
L’auteur Hélen Keller, aveugle, sourde et muette vie, rapporte une anecdote : l’une de ses amies revient d’une longue promenade. Elle lui demande ce qu’elle a remarqué en chemin. Et son interlocutrice répond : « rien de particulier ». Hélen écrit alors : « Je me suis demandé comment il était possible de se promener une heure en forêt sans rien noter de spécial. Moi qui ne voie pas, je relève toujours des centaines de détails : l’asymétrie délicate d’une feuille d’arbre, la peau lisse d’un boulot argenté, l’écorce rugueuse et irrégulière d’un pin. Moi qui suis aveugle, j’ai un conseil à donner à ceux qui voient : servez-vous de vos yeux comme si vous deviez perdre brusquement la vue demain. Écoutez la musique des voix, le chant des oiseaux, les accents puissants de l’orchestre comme si, demain, l’ouïe devait vous faire brutalement défaut. Touchez tous les objets comme si vous alliez perdre ce sens-là aussi. Humez le parfum des fleurs, savourez chaque bouchée avec délice, comme si, à compter de demain, vous ne deviez plus jamais rien sentir ni goûter. Tirez tout l’avantage possible de chacun de vos sens. Jouissait de toutes les facettes, tous les plaisirs, toutes les beautés que le monde vous révèle. »
Et si ces questions vous intéressent aussi pour des rituels professionnels… parlons-en !
Psychologie HS n°44, page 90