Ils ont osé tout plaquer ! Et après ?
Quel déclic déclenche la courage ?
Le déclic ? Un accident de cheval, la naissance d’un enfant, un documentaire à la télé, bref, l’irruption dans le quotidien d’un événement précis qui a fait basculer leur vie. Laurence, Luc, Despina et les autres ont un jour décidé d’infléchir leur existence, de se donner une chance : celle d’être au plus près de leur désir. Ils ont divorcé, changé de métier, déménagé. Sûrs de leur choix, conscient des renoncements qu’il impliquait, fonçant vers un inconnu qui pourtant leur était comme familier : un souvenir, une émotion d’enfance, un rêve de toujours soudain prenait corps, prenait vie. L’évidence du but, la difficulté du chemin, le plaisir de la réalisation, ils racontent. Aucun ne regrette la traversée, elle les a transformés, a développé des aspects d’eux-mêmes restés en friche. Ils ne sont pas pour autant au bout de leur quête, mais ils continuent leur route avec l’assurance de ceux qui ont pris le risque de s’écouter vraiment.
Laurence Perceval 39 ans
Avant : Crée les premiers “clubs d’entreprise” en France et développe une société de lunetterie à New York
Après : Rachète l’hôtel des Deux Abesses et redonne une âme à un petit village médiéval auvergnat
« Je revenais de New York où j’avais développé une entreprise de lunetterie. Professionnellement j’étais au top, et pourtant, je me sentais dans une impasse. Là, j’ai eu un très grave accident de cheval : je me suis retrouvée à l’hôpital, paralysée du nombril aux doigts de pied. Je me suis battue un an pour retrouver l’usage de mes jambes. Ma boîte s’est “séparée” de moi, mon mec aussi. Je remarchais, certes, mais je n’avais qu’une envie : passer sous un bus ! C’est la psy de l’hôpital qui m’a sauvée : grâce à elle, j’ai compris qu’il fallait que je change de vie et d’envies. Je devais prendre de la distance. La reconnaissance de mes pairs et de mon père était une quête inutile. J’ai réalisé que j’avais toujours été le “fils aîné” de la maison. A mon époque, les filles n’étaient pas très valorisées. Mes copines d’école, à Charleville-Mézières, étaient toutes amoureuses du héros de “Belle et Sébastien”. Moi, la scout, j’étais Sébastien ! Je rêvais d’entrer aux Beaux-Arts ou à l’école hôtelière de Lausanne, mon père m’a dit : “¨Passe ton bac C”, espérant secrètement que je prépare l’Ena. J’ai fait Sup de co à Reims, j’ai monté ma propre boîte et créé les premiers “clubs d’entreprise” avant de m’expatrier aux Etats-Unis.
Grâce à la psy, j’avais trouvé mon Graal ! Après l’accident, je me mets à la recherche d’un vignoble dans le Sud-Ouest. Sur le chemin, en Auvergne, je m’arrête dans un très joli village médiéval, “ressuscité” par une vieille copine que j’avais perdue de vue : Saint-Arcons-d’Allier. Coup de foudre. Je m’entends lui dire : “Appelle-moi si tu as des soucis.” Trois mois plus tard, son affaire est à vendre. J’ai investi quinze ans d’économies pour redonner une âme à ce lieu sublime. Cet endroit est unique : le village est l’hôtel, les rues, ses couloirs, et les maisons, ses chambres.
Ce lieu magique est l’enfant que je n’ai pas. Je deviens mère de famille nombreuse. Je suis au four et au moulin de 7 heures à 1 heure du matin, je fais plaisir et je “me” fais plaisir : j’ai une clientèle de couples d’amoureux, j’adore soigner la mise en scène de leur idylle qui se déroule sous mes yeux. La psy m’avait conseillé de mettre de la fantaisie dans ma vie, de la rendre ludique. Elle avait raison. Je suis enfin sereine. Il y a un crapaud qui veille aux portes de mon château. C’est un signe : un jour, mon prince viendra ! »
Les Deux Abbesses, 43300 Saint-Arcons-d’Allier. T. : 04.71.74.03.08.
Luc Merenda 55 ans
Avant : Star de cinéma en Italie, premier rôle masculin face à Chantal Nobel dans le feuilleton “Châteauvallon”
Après : Antiquaire aux Puces de Saint-Ouen, spécialisé dans la statuaire du Sud-Est asiatique
« Tout a basculé le jour où j’ai tenu ma fille dans mes bras. Sa naissance a bouleversé ma vie. Du jour au lendemain, j’ai levé le pied. J’étais un casse-cou, j’ai arrêté les courses automobiles et les cascades. Et j’ai commencé à réfléchir sérieusement au cours que je voulais donner à mon existence. En Italie, j’étais une star de cinéma : j’avais tourné 45 films, dont 38 premiers rôles. Des films à la Belmondo, mais avec des budgets plus modestes. En 1985, je suis choisi pour tenir le premier rôle masculin face à Chantal Nobel dans le plus grand feuilleton français jamais réalisé : “Châteauvallon”.
La gloire. Je ne pouvais plus faire un pas dans la rue sans que l’on m’arrête. Mais le cinéma m’a toujours semblé vain. Seul le mot “Action !” m’excitait. Je venais de rencontrer une dame qui allait devenir mon épouse, Annie Minet, une excellente antiquaire, spécialiste de la statuaire du Sud-Est asiatique. J’ai pris le risque de tout laisser tomber. Ensemble, nous avons ouvert une boutique aux Puces de Saint-Ouen.
J’aime trouver un objet rare dans un fatras de pacotille, j’aime le faire restaurer dans les règles de l’art. J’ai découvert que j’étais un esthète et que c’était inscrit dans mes gènes : mon père était un fou génial, un autodidacte bourré de talent, qui a construit et décoré des dizaines de maisons au Maroc. J’ai grandi entouré d’antiquités chinoises et japonaises mais, à l’époque, je trouvais ça nul ! Si demain, comme me l’a prédit une voyante, un grand metteur en scène me proposait le rôle de mes rêves, je ne suis pas sûr que j’accepterais. Le métier d’antiquaire n’est pas facile, mais je l’adore. Je ne lâcherai pas la proie pour l’ombre. »
DESPINA CHRONOPOULOS
Avant : Autrichienne, elle épouse un Français, s’installe à Paris et travaille à la Caisse des dépôts et consignations
Après : Elle étudie pendant quatre ans le comportement des gorilles dans une réserve du Congo
« Enfant, ma passion pour la forêt vierge virait à l’obsession. A 10 ans, mes parents, musiciens, m’emmènent au Kenya pour l’inauguration de l’Opéra de Nairobi. Je comprends que ma vie est là, en Afrique. En Autriche, mon pays natal, je me désespère. A 14 ans, je craque, vole de l’argent à mes parents et m’envole pour Nairobi. Interpol me retrouve trois jours plus tard. Retour à la case départ. Sauf que la gloire me tombe dessus. Une fable, “Le Secret de la chauve-souris blanche”, que j’avais écrite en catimini, est un best-seller. Je deviens un phénomène littéraire.
Je me bloque complètement, la réalité me rattrape. J’épouse un Français et rentre dans le moule : je travaille à la Caisse des dépôts et consignations, à Paris. Je suis heureuse… le jour. La nuit, je me réveille en pleurs avec une pensée lancinante : “Tu t’es trahie.” Un documentaire télé sur les gorilles me fait l’effet d’un électrochoc. Je décide de tout larguer – Paris, mon job, mon mari – pour le reportage animalier. John Aspinall, un milliardaire anglais, me confie un projet : la réintroduction de gorilles orphelins dans leur milieu naturel, au Congo. Les gorilles ont une vie sociale riche et complexe. Leur contact m’apaise.
Pendant quatre ans, c’est le bonheur. Je me suis réconciliée avec la petite fille que j’étais. Mais la guerre civile au Congo nous plonge, moi et mes gorilles, dans le cauchemar. Je dois fuir. De retour à Paris, je suis brisée. Moralement et physiquement. Une vilaine blessure au genou m’immobilise. Je me dis : “Tu te flingues ou tu finis le livre que tu as commencé.” Plus aucune étoile ne me guide. Soudain, un soir d’août, à la campagne chez des amis, je ressens la même sensation qu’à 15 ans. Le désir de vivre et de larguer les amarres est à nouveau très fort. Dès que mon livre (1) sera publié en France, je repars en Afrique de l’Est réaliser un projet sur les éléphants. »
(1) paru chez Robert Laffont.
Patrick Cosnet 43 ans
Avant : Paysan dans la Sarthe, il trait ses vaches le soir et écrit des pièces de théâtre le jour
Après : A la tête d’une troupe de comédiens et d’un théâtre de 150 places dans une ferme-auberge
« Au collège du Mans, mon frère et moi étions les seuls paysans. Il fallait jouer du poing quand on nous traitait de ploucs ! Au lycée agricole, j’ai découvert la culture grâce à un prof qui nous emmenait au théâtre. Je n’ai jamais été un grand lecteur, mais j’ai de grandes oreilles ! Souvent, je jetais mes pensées sur le papier : écrire, c’est prendre de la distance. Je me souviens du soir où tout a basculé. On était en juin 1990. Nous avions organisé une fête afin de récolter des fonds pour des amis en difficulté. Je suis monté sur scène pour “jouer” un paysan. Les spectateurs étaient scotchés à leur chaise. J’ai eu le grand frisson !
C’était l’ébauche de ma première pièce, “La Casquette du dimanche”. Puis tout s’est enchaîné, comme une évidence. Je vendais trois vaches le matin, et le soir je montais sur les planches. Ma femme m’a quitté, et j’ai rencontré Sylvie, une prof agrégée de lettres, féministe engagée… Aujourd’hui, je ne suis plus paysan, mais un intermittent du spectacle à la tête d’une compagnie et d’un théâtre de 150 places, construit dans la ferme-auberge L’Herberie. Je suis heureux : je n’ai pas quitté la terre, mais une première peau. Quand le printemps arrive et que la terre embaume, j’ai encore le cœur serré… «
Les Fonds de terroir, Compagnie Patrick Cosnet, 36, rue de la Libération, 49420 Pouancé. T. : 02.41.92.57.08.
Arouna Lipschitz 53 ans
Avant : Ordonnée femme-prêtre en Inde, elle dirige un ashram à La-Celle-Saint-Cloud
Après : S’exile à Toronto où elle devient commerçante, puis rentre à Paris et rédige son autobiographie
« Je suis née à Metz, dans une famille juive orthodoxe marquée par l’Holocauste. Moi, Erna, l’enfant rebelle, je me suis très tôt révoltée contre Dieu. Je suis un esprit libre. La religion encadre Dieu, lui donne des limites : on clôture l’infini et on risque le totalitarisme. A 18 ans, je me suis pliée à un mariage arrangé. J’aimais mon père, je n’ai pas su dire non. Dès le soir des noces, je voulais fuir. Je me répétais : “Si mon père meurt, je divorce ».
”Cinq mois plus tard, il décédait des suites d’un accident de voiture et je demandais le divorce. Pour mes proches, j’étais folle. J’ai fui à Jérusalem où je me suis inscrite en psycho. Ç’a été la première rupture de ma vie. Puis j’ai ouvert une école de yoga à Paris, entrepris une psychanalyse, avant de rencontrer un gourou indien, le swami Venkatesananda. Ma quête spirituelle m’a conduite en Inde où j’ai été ordonnée swami, femme-prêtre. Je suis devenue Arouna – l’aube –, vêtue d’une robe orange. Pendant quatre ans, j’ai dirigé un ashram à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris. Je me suis retrouvée prise au piège. J’ai fini par ne plus supporter la dévotion de mes disciples. Je me suis rendu compte que je m’étais réfugiée au nirvana, car je n’avais jamais réussi à fonctionner dans la relation amoureuse.
J’avais peur de l’autre, de l’engagement et de l’intimité. Apprendre à aimer a toujours été ma passion fixe, et c’est elle qui a sans cesse bouleversé mon existence. Tous les amours sont des tremplins. La quête spirituelle et la quête de soi sont en fait des outils pour s’approcher de l’autre. J’ai jeté ma robe orange aux orties, brisé mes vœux de pauvreté, d’obéissance et de chasteté pour retourner dans le monde. Je me suis exilée à Toronto où j’ai dirigé, pendant plus de dix ans, une boutique French Country. Au début, ç’a été très dur. J’ai dû tout réapprendre : l’argent, le travail, la sexualité. J’ai compris qu’il ne fallait pas dépendre d’un gourou, d’une idéologie ou d’une cause. J’ai dû briser de nombreux amarres pour devenir sujet, et non objet, de désir. Tous ces changements de vie m’ont aussi permis de me réconcilier avec ma famille, qui m’a accueillie comme l’enfant prodigue. En fait, j’avais oublié qu’on pouvait donner en existant “juste”. Je suis rentrée à Paris et j’ai rédigé mon autobiographie (1) dans l’espoir d’aider les autres. »
(1) “Dis-moi si je m’approche”, Editions des Trois Monts, 1999.
Article de Catherine durand, Psychologie.com