Comprendre le management : origine et culture (1/5)
Mon expérience de consultant, mes relations personnelles avec des amis managers, cadres, directeurs généraux, la lecture des rapports sur le travail en entreprise m’amène à me focaliser sur une question récurrente ! Pourquoi un manager a-t-il tant de difficultés à aborder sa fonction de manière claire, fonctionnelle, raisonnée, apaisée ?
J’observe combien les responsables sont de plus en plus en souffrance avec une marge de manœuvre paradoxalement étriquée, les menant vers une autre impasse :
- Partir, mais pour faire quoi ? Finalement ce sera le même problème ailleurs. Alors je ne pars pas.
- Partir… j’aimerais bien mais ce n’est pas possible (matériellement, socialement…). Alors je ne pars pas.
N’est-ce pas là la démonstration d’un bel enfermement aliénant ? Et le plus terrible, c’est que les managers eux-mêmes sont en peine d’explications éclairantes sur cet âpre environnement dont ils sont justement présumés avoir la maitrise !
Considérant que la curiosité n’est plus un vilain défaut, il m’importe de comprendre, de saisir les justes leviers qui permettent de trouver des solutions, à la fois pour permettre à mes clients d’assurer un management plus efficient et surtout de leur offrir la possibilité de vrais choix pour agir en liberté.
Cette réflexion a aussi un autre objectif : comprendre pourquoi travailler sur le mieux-être en entreprise (ce que j’effectue avec la formation Ambassadeurs du Mieux-être) peut apparaitre, pour certaines entreprises, comme inapproprié voire désuet.
Je vous livre ici cinq articles afin de vous permettre de saisir ces blocages enracinés du management. Cinq articles qui veulent vous raconter comment nous sommes imprégnés d’une culture managériale totalement vieillie et décalée, au point même de devenir contreproductive face à ce qu’elle défend :
- L’origine du management façonne encore sa culture
- Comment la dimension humaine échoue face à la stratégie d’entreprise ?
- Et si le charisme était une solution ?
- Quel est aujourd’hui l’environnement du manager ?
- Les véritables leviers du manager
1/ L’ORIGINE DU MANAGEMENT FACONNE ENCORE SA CULTURE
Observons en premier lieu comment le management s’opère en entreprise, au travers d’un exemple. Pour orchestrer un changement d’organisation, de projet ou mettre à jour les valeurs de l’entreprise, les managers s’appuient actuellement sur trois types de procédés différents.
- Le premier consiste à mener une réflexion au niveau du Comité de Direction, puis de rassembler les salariés pour leur expliquer et surtout les motiver à s’imprégner de « leurs » nouvelles valeurs… C’est un peu le sens des Team building des années 80, cette forme de reality show au cours duquel chacun était appelé à répéter, clamer, chanter en force les instructions reçues… sans même y avoir contribué. On sait combien les effets sont éphémères.
- Le second cheminement s’appuie davantage sur un mode « enquête et audit », afin de pouvoir assurer tout un chacun de l’impartialité du travail et garantir l’écoute et le dialogue avec les salariés. « En vous écoutant, nous saurons comment mieux agir pour œuvrer ensemble. » Au final, et le plus souvent, ces rapports « gênent » le Comité de Direction qui choisira au mieux d’entendre la partie qui l’intéresse, au pire d’oublier l’audit dans un tiroir. On peut, là encore mesurer, les frustrations induites.
- La troisième piste, celle de l’entreprise que l’on qualifie de libérée, marque la volonté réelle d’une réflexion associée et d’une ouverture collaborative menant à agir réellement ensemble. Cette attitude est le plus souvent opérante, néanmoins elle n’émerge que très lentement. Pourquoi ? Pourquoi tant d’hésitations face au dialogue et au partage ?
L’histoire du management apporte des réponses très éclairante. Intégrée dans une tradition pratique et théorique, la culture managériale est née dans l’ère de l’Industrialisation, désormais vieille de deux siècles.
A la fin du XIXème siècle, cette révolution transmute l’artisanat vers le principe de la production de masse. Précisément, le paradigme artisanal élaboré autour d’un « travail façonné dans l’autonomie » se transforme en « produire plus, produire ensemble » Et pour faire face aux nouveaux besoins, les paysans sont appelés à venir en usine.
Lorsque l’on évoque les pères de cette époque, Frederick Taylor est une figure de proue ! Cet ingénieur américain est reconnu pour ses travaux sur l’organisation scientifique du travail. Il incarne une personnalité riche, créatrice, souvent reconnue et appréciée par ses multiples talents de créateur, d’inventeur… et de penseur. Et c’est vrai que l’approche de Taylor reposait plus sur une dimension philosophique qu’organisationnelle. En ce sens, sa réflexion centrale, portée sur « comment produire plus ? » a abouti sur le découpage des tâches : décomposer une mission en micro-taches pour trouver la meilleure, la plus efficace : mesurer le temps de chacune des tâches, les simplifier. Il parait par exemple plus simple de porter 30 fois un sac de 20 kg que 10 fois un sac de 40 kg. Cette modification de l’organisation du travail a ouvert la porte à la spécialisation (pour une tâche) et donné naissance à l’ouvrier spécialisé (OS) : centré sur un poste précis, il réalise des tâches mesurables. C’est en appui des travaux de Taylor qu’Henri Ford installa, en octobre 1913, la première ligne de montage qui ouvrit le champ au travail à la chaine. Les micro-tâches permettent le développement de la mécanisation.
Mais l’introduction des machines a aussi entraîné l’apparition de nouvelles qualifications pour une élite limitée : ainsi, les mécaniciens ont développé, avant les ingénieurs, de nouvelles compétences fortement valorisées. Toute une gamme de fonctions d’encadrement et de coordination du travail s’est aussi mise en place. Si l’organisation scientifique du travail (Taylorisme) et le travail à la chaîne (Fordisme) prennent naissance à la fin du XIXe siècle, on peut voir les prémices de cette volonté de rationalisation bien avant. La division des tâches entraîne une dépossession complète de l’ouvrier que Chaplin a tournée en dérision dans Les Temps modernes. Elles font apparaître de nouvelles souffrances au travail. Ainsi, l’arrivée du contremaître instaure une organisation à laquelle nous nous conformons toujours, y compris dans nos schémas de pensée : la segmentation du travail :
- Des « ingénieurs » mettent en place des organisations (même s’ils sont souvent éloignés de la réalité du terrain)
- Des « contremaitres » contrôlent, corrigent
- Les « ouvriers » exécutent des tâches segmentées.
La première tâche du manager
est clairement fondée sur le contrôle.
Depuis lors, cette organisation s’est montrée opérationnelle en termes de productivité, au point d’imprégner totalement nos esprits et notre culture. C’est ainsi que l’entreprise s’est organisée, structurée sous une logique de « postes » (laquelle conduit avant tout à un salaire), s’éloignant toujours plus de la logique « métier » (laquelle est source de fierté par l’accomplissement d’un travail complet).
Cette organisation du travail ne change pas (ou peu), elle imprègne et continue d’associer la fonction managériale à une représentation marquée du contrôle, au seul dessein de la productivité.
La prise en compte de la personne humaine reviendra plus tard…